Loi contre le narcotrafic : une ambition gâchée

« Depuis le début de l’examen de ce texte, le groupe Ecologiste et Social s’est mobilisé avec une ligne de conduite : détermination contre le crime organisé, ses réseaux, son argent, ses causes aussi. Et la défense des principes de l’État de droit, ses procédures – ne vous en déplaise -, et les libertés. »

J’ai exprimé la position de vote du groupe Écologiste et Social sur la proposition de loi contre le narcotrafic.

« Depuis le début de l’examen de ce texte, le groupe écologiste et social s’est mobilisé avec une ligne de conduite : détermination contre le crime organisé, ses causes, ses réseaux, son argent ; défense des principes de l’état de Droit, ses procédures et les libertés.

Se donner les moyens, messieurs les ministres, ce n’est pas jouer les matadors, imiter la voix grave et menacer le moulin du narcotrafic tel Don Quichotte. Se donner les moyens, c’est d’abord en consacrer aux magistrats, trop peu nombreux ; c’est mieux équiper nos services d’enquêtes  ; c’est substituer aux opérations médiatiques « place nette », répétées et éreintantes, du temps pour l’enquête. Vous voulez mettre des coups de pieds dans la fourmilière ; nous préférons remonter et démanteler les filières

Alors on a essayé de faire un bout de chemin législatif ensemble, car l’enjeu est plus grand que les postures. Et nous avons dit oui à une meilleure coordination, via la création d’un État-major (EMCO) et d’un Parquet national spécialisés (PNACO). Nous avons souhaité aussi cibler plus efficacement les têtes de réseaux criminels. De même l’instauration d’un statut plus sécurisé pour les repentis, les « coopérateurs de justice » qui acceptent de briser la loi du silence ou encore celui des infiltrés aideront sans doute à élucider des affaires.

Nous avons convaincu du maintien de magistrats qualifiés pour la justice des mineurs au sein du PNACO. Nous avons également permis l’intégration de la justice restaurative, qui reste un levier fondamental pour accompagner les victimes et prévenir la récidive des auteurs d’infractions.

Contre le blanchiment et l’enrichissement des criminels, la gauche a obtenu le renforcement des obligations de vigilance et de formation accrue des professions concernées.

Enfin, nous avons obtenu que la société bénéficie d’une meilleure redistribution de tous les types de biens mal acquis détenus par les trafiquants vers les collectivités locales, les structures  d’intérêt général et même vers des projets à forte utilité sociale.

Je passe sur votre impensé fautif concernant la consommation, la prévention, la réduction des risques alors même que c’est un pilier de notre sujet.

J’en viens maintenant à ce qui fâche : messieurs les ministres, nous sommes de ceux que vous n’entraînerez jamais sur la pente contraire à nos principes de Droit.

Vous avez affaibli le contrôle de la détention provisoire – c’est-à-dire la prison sans jugement – en repoussant l’intervention du juge et en imposant des débats à distance, désincarnés, déshumanisés.. Vous avez prôné une justice de la vengeance qui confond la peine avec le châtiment en imaginant volontiers des prisonniers souffrir de l’isolement et subir des fouilles intégrales systématiques quand il existe  des scanners tout aussi efficaces et qui préservent la dignité. Si vous voulez  aider les agents de la pénitentiaire à mieux surveiller, alors commencez, comme les britanniques ou les espagnols à vider les prisons des petits délits (d’ailleurs, pourquoi réserver le bracelet électronique aux  bandits de grande renommée ?…) ; commençons par appliquer les améliorations prévues par le texte en terme de formation et de protection. Augmentez leurs salaires, cela aidera. 

A vrai dire, vous tapez souvent à côté :  à côté, quand ce sont les mules que vous enfermez pendant 120h en garde à vue, presque autant que des terroristes. Croyez-vous une seule seconde que l’acharnement à l’égard des petites mains va inquiéter les chefs du narcobanditisme ?

A côté encore avec ce dossier coffre qui prévoit carrément de cacher des éléments de la procédure à la défense, jusqu’à condamner une personne sur des éléments qu’elle n’aura jamais vu, jamais discutés ! Cela n’est en aucun cas acceptable, pas plus que l’excès de pouvoir administratif au regard de l’autorité judiciaire en plusieurs domaines de la Loi. Le contradictoire rabroué, l’autorité judiciaire écartée : vous préparez le terrain pour une société dont personne ne veut.

Évidemment la fascination de notre époque pour la techno police ne vous a pas épargnés. Certes nous avons su empêcher votre intention de pénétrer les conversations privées des messageries – et même de mettre en danger notre sécurité nationale numérique. Mais vous avez, à l’aveugle, étendu de façon excessive et attentatoire aux libertés la surveillance algorithmique – pourtant limitée à la lutte contre le terrorisme et à l’ingérence étrangère. Il en va de même pour l’activation à distance des objets connectés que le Conseil constitutionnel avait pourtant déjà invalidée.

A ce sujet je m’inquiète de cette dérive engagée depuis l’examen de la loi immigration en 2023 : voter des dispositions manifestement anticonstitutionnelles en espérant que le Conseil fasse le tri après coup. Cette façon de légiférer est un dévoiement médiocre de notre système politique. Ce n’est pas ainsi que doit fonctionner notre démocratie. Il est aussi le symptôme inquiétant d’un pouvoir qui ne se soumet plus, par lui-même, au Droit.

Si nous nous abstenons, à ce stade, c’est pour alerter tous les collègues mais aussi les sénateurs et sénatrices, à quelques jours de la CMP, qui peut encore nous mettre d’accord sur l’essentiel : doter notre Justice et nos services d’enquêtes des capacités à agir, à juger et à protéger. Dans le cas contraire, vous nous contraindrez à ce recours constitutionnelet nous appellerons tous les parlementaires soucieux de notre État de Droit de se joindre à nous dans cette démarche.Et si vous voulez nous renvoyer au statut d’idéalistes, retenez bien que nous prenons l’insulte comme une flatterie et, mieux, un signe de solidité au moment où VOUS, et vos députés qui ont brillé par leur absence, flanchez face à la menace illibérale. »