Alors que tous les regards étaient tournés vers le vote de confiance en ce début de semaine, le projet de loi relatif au renforcement des dispositifs de lutte contre le terrorisme a été soumis et approuvé en procédure accélérée à l’Assemblée Nationale, avant d’être envoyé au Sénat. Or, ce projet de loi n’a rien d’anodin : il concerne directement plusieurs de nos libertés fondamentales autant que la sécurité nationale. Indisponible au moment de ce débat, je n’ai pu y participer mais je sais que quelques parlementaires avaient alerté sur les risques liberticides de certaines dispositions proposées.
Ce projet risque d’abord de fragiliser la liberté de circulation : les autorités administratives pourront en effet retirer la liberté de circulation à un ressortissant si celui-ci est soupçonné de vouloir se rendre à l’étranger afin de participer aux activités terroristes, de formation aux techniques de lutte armée, et qui pourrait de fait devenir une menace au niveau national et international.
Or, d’une part les critères pouvant justifier une interdiction de circulation sont peu précis, et seuls deux de ces critères cumulés suffisent pour une accusation ; d’autre part il s’agit bien d’une attaque à la présomption d’innocence : le ressortissant pourra subir une sanction par anticipation d’un acte dont les autorités administratives n’auront aucune preuve qu’elle aura été commise. On pénalise donc une intention supposée, alors que l’arsenal préventif et sécuritaire prévoit déjà normalement des dispositifs de surveillance individuelle renforcée.
Ensuite le projet induit une hausse significative de la surveillance de l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux par les citoyens Français, tous les utilisateurs devenant des suspects potentiels, avec les risques de dérives parmi les plus absurdes. Comment par exemple le citoyen qui souhaitera simplement comprendre les enjeux du terrorisme pourra se sentir en confiance pour aller chercher l’information voire s’exprimer à ce sujet s’il est conscient qu’il encourt une condamnation éventuelle. Que dire si, par malheur, il ou elle est passionné(e) par les sports de combat… ?
Bien sûr, il est nécessaire de lutter contre la radicalisation et l’enrôlement de jeunes français dans les brigades terroristes. Devons-nous pour autant risquer de sacrifier nos libertés, parmi celles les plus nécessaires au bon fonctionnement de nos institutions et de la démocratie ? Non, je ne le crois pas. Je reste pour ma part admiratif de la réponse qu’avait faite le Premier ministre suédois M. Stoltenberg au lendemain du carnage commis par le militant d’extrême droite Anders Behring Breivik (77 personnes tuées). Ce dernier avait marqué les esprits en promettant « plus de démocratie et plus d’ouverture » en réponse à ceux qui en voulaient moins. La démocratie suédoise avait tenu bon, et elle a eu raison. Doit-on rappler ce que le Patriot Act qui, mis en place par réflexe néoconservateur, a grandement coûté aux Etats-Unis ces dernières années : erreurs d’arrestation, abus judiciaires, climat de peur. Cette dérive, même embryonnaire, ne peut être admise chez nous.
Je trouve enfin indigne d’une démocratie moderne le choix d’une procédure accélérée, qui empêche un véritable débat d’avoir lieu, en particulier avec la société civile riche de nombreuses associations engagées, de la Ligue des Droits de l’Homme à la Quadrature du Net. De nombreuses organisations de défense des libertés publiques majeures et organes de presse s’étaient en effet manifestés, mais n’ont pas été entendues.
La sagesse commande de reprendre ce projet de loi, et de cibler plus spécifiquement les recruteurs. Il ne s’agit pas d’être naïf vis-à-vis des victimes, devenus potentiellement violents, de ces derniers. Mais de placer la Loi à la hauteur de la Raison, principe fondamental de notre République.
> Accéder au dossier législatif
Revue de presse
> La quadrature du Net
> Ligue des Droits de l’Homme
> Le Monde
> Rue 89
> Mediapart