A l’occasion du débat sur la loi Macron et plus précisément sur le travail le dimanche, je suis intervenu en hémicycle :
« Monsieur le ministre, vous l’avez dit vous-même, comme plusieurs membres du Gouvernement, et comme tout le monde ici, ou presque : travailler le dimanche n’est pas anodin. Ce n’est pas neutre.
On pourra toujours trouver des exemples de personnes ayant choisi de travailler le dimanche mais, pour des millions d’hommes et de femmes, c’est là une nécessité, et non un choix. Je ne veux pas verser ici dans un misérabilisme social que l’on pourrait taxer de rhétorique, mais il existe aujourd’hui un travail subi : c’est le cas non seulement du travail le dimanche, mais aussi du travail de nuit, et bientôt du travail en soirée – j’ai déjà exprimé mes réserves, et même mon opposition à cette disposition.
C’est parce que vous êtes tout à fait conscient que le sujet n’est pas anodin que vous avez parlé, monsieur le ministre – comme Marisol Touraine, me semble-t-il – de le payer double.
Et ce n’est pas un hasard si vous avez vous-même proposé, dans les débats préparatoires, de le payer double : c’est parce que vous avez conscience qu’il faut accorder des compensations en échange de ce qui est subi.
Je veux bien que l’on continue à nous donner des exemples de personnes qui souhaitent vraiment travailler le dimanche pour des questions d’aménagement de temps de vie. Olivier Faure l’a fait hier, et je sais que les personnes dont il parle sont bien réelles et qu’il les a vues. Mais, globalement et massivement, ce n’est pas de cela que l’on parle : on parle de millions d’hommes et de femmes qu’il s’agit de protéger par la loi, car tel est l’objet du droit du travail.
Comme le disait Lacordaire, entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. C’est la loi qui qui protège. Nous n’avons pas à faire prévaloir la liberté de certains entrepreneurs ou commerçants de détail, même si nous pouvons comprendre leurs contraintes. Nous devons protéger celles et ceux qui subissent ces nouvelles contraintes économiques, au prix parfois d’expériences de vie douloureuses.
Vous avez émis l’idée, hier et ce matin, que la fixation de seuils poserait un problème de faisabilité et pénaliserait sans doute les petites entreprises. À cela, je vous répondrai que, a contrario, ne pas en fixer, c’est créer un effet d’aubaine pour les très grandes. C’est un problème pour les millions d’hommes et de femmes qui se trouvent dans une situation où le rapport de force n’est pas en leur faveur. J’entends ce que vous dites sur la priorité donnée au dialogue social, mais il faut être lucide : chacun sait bien que les salariés, même lorsqu’ils sont membres actifs d’une organisation syndicale, ont les plus grandes difficultés aujourd’hui à se faire entendre, à se faire respecter, et même seulement à imposer un dialogue social.
Regardez ce qu’il en est du pacte de responsabilité : très peu d’accords ont été conclus – vous l’avez vous-même noté et déploré – du fait de cette incapacité à dialoguer et du manque de bonne volonté d’une partie du patronat français. Il faut être réaliste, pragmatique et tenir compte de cette réalité. C’est pourquoi il faut donner aux salariés, par la loi, les protections nécessaires.
Par ailleurs, vous avez justifié votre choix de ne pas fixer un seuil minimal ou un doublement de salaire en cas de travail le dimanche en renvoyant cette décision à des négociations collectives. Mais alors, rien ne change par rapport à la situation actuelle, car la loi, aujourd’hui, ne prévoit aucune obligation, sauf exception expressément prévue par la loi – car l’esprit législatif français est ainsi fait. Et les augmentations de salaire, quel que soit d’ailleurs le seuil de cette augmentation, se décident déjà par la convention collective. Vous étendez certes son champ, puisque vous prévoyez un accord de branche, d’entreprise, ou de territoire, mais en réalité, le principe reste le même. Vous ne donnez aucune garantie a priori, renvoyant la possibilité d’une augmentation significative à un accord entre partenaires sociaux, dont j’ai montré combien son succès est douteux.
J’en arrive enfin, monsieur le ministre, à la réponse que vous avez faite à Laurent Baumel sur l’esprit général de notre discussion. Il est vrai que les parlementaires, aussi bien en commission spéciale qu’en séance, ont pu dialoguer avec vous, et nous continuons à le faire aujourd’hui. Cela dit, ce n’est pas avant le débat parlementaire qu’il faut trouver un compromis, c’est jusqu’au bout qu’il faut essayer de le trouver. Lorsque nous avons eu des désaccords, au sujet par exemple du CICE, du pacte de responsabilité ou lors des débats budgétaires, nous avons toujours cherché des compromis. S’agissant de votre loi, vous savez quels sont nos points de désaccord : nous les avons identifiés et formulés. Si nous en restons là, en considérant que les compromis ont été faits, parce que vous décrétez les avoir faits ou parce que vous considérez avoir donné toutes les contreparties possibles aux législateurs dans la discussion, alors notre débat n’est que rhétorique et formel !
Or j’ai pour ma part une autre opinion de l’Assemblée nationale et du dialogue démocratique, et je considère que les compromis ne peuvent pas être trouvés avant que nous soyons nous-mêmes allés au bout de notre discussion collective. »