A l’occasion de la dernière discussion à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi Renseignement, je suis intervenu à deux reprises pour exprimer mon opposition à ce texte. Cette loi reste selon moi une faute politique et une entorse à notre socle démocratique commun. C’est pour cette raison que j’ai voté contre le projet de loi hier soir, comme je m’en expliquais mardi.
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J’appuie les deux interventions critiques précédentes et je voudrais formuler ici un questionnement qui devrait, je crois, nous saisir tous. Les tentations de contrôle sont réelles et sérieuses. Nous l’avons vu récemment, avec la révélation par la presse de dispositifs de surveillance mis en œuvre par des États alliés, même si nous en connaissions l’existence. Et l’on voit bien que les pouvoirs sont, par définition, soumis à des tentations autoritaires de surveillance, surtout dans les démocraties qui bénéficient, usent et abusent de dispositifs de contrôle qui, parfois, les dépassent. Ces dispositifs de contrôles ne sont pas autorégulés, ils ne sont pas toujours contrôlés – nous l’avons vu dans de nombreux cas – et ne rencontrent comme résistance que ces fameux lanceurs d’alerte. Ces derniers ne sont pas ceux qui sont surveillés mais ceux qui, animés par un souci éthique, constatent dans leur métier un certain nombre de dérives dans les pratiques, d’abus des outils mis à leur disposition, et se rendent compte de la grande fragilité de nos démocraties lorsque les technologies l’emportent sur le reste. Autant les amendements précédents vont dans le bon sens, autant celui-ci porte, à mon avis, atteinte à ce qui est le plus précieux dans le moment que traversent ces démocraties fragiles : la vigilance justement de celles et ceux qui, bien qu’étant au service de l’État, restent quand même résolus à ne pas accepter les entorses aux principes, les entorses au droit commises au nom de la protection et du renseignement aux libertés et aux droits fondamentaux.
À vrai dire, je trouve assez surprenant que ceux-là mêmes qui s’étonnent d’être surveillés instituent des dispositifs de surveillance pour d’autres. À ce stade, la question porte sur le rôle, les missions d’une commission, et sur les modalités de nomination de son président. Nous devrions nous arrêter quelques instants sur cette procédure particulière, dans laquelle les technologies l’emporteront sur les hommes censés les maîtriser. Beaucoup de choses ont été dites, notamment à propos des IMSI-catchers et des algorithmes dont les algorithmiciens eux-mêmes expliquent qu’ils sont très difficilement déchiffrables et compréhensibles. Même si je sais que les parlementaires qui siégeront dans la commission seront de bonne foi et de bonne volonté, nous savons tous pertinemment qu’il leur sera très difficile de comprendre le langage très obscur que les spécialistes ont eux-mêmes du mal à maîtriser. C’est le nœud du problème soulevé par cet article : quelles seront les capacités réelles de contrôle dans les missions de surveillance ? Je rappelle, au passage, que le champ de ces missions a été tellement élargi que l’on en est arrivé à légaliser certaines choses qui devaient l’être, mais aussi certaines choses inadmissibles. Pour conclure, à l’issue d’un processus de dialogue que je ne nie pas, car nous y avons consacré un certain temps en dépit de la procédure accélérée, je tiens à dire que ce débat ne fait que commencer. Dans notre pays, la discussion relative à l’approfondissement de la démocratie n’est pas finie. Certes, nos démocraties semblent parfois en panne, saisies de panique ; alors, par mimétisme, elles sont tentées d’imiter, au moyen de technologies trop fascinantes, ceux-là mêmes qu’elles veulent combattre. Nous sommes cependant au début d’une grande réflexion démocratique : je vous invite tous à y contribuer, à la nourrir. C’est justement au cours des mois, des années à venir, dans ce monde trouble où chacun se surveille, où les nations se concurrencent les unes les autres, où les citoyens se font face, que des questions lourdes seront posées, concernant le renouveau de la démocratie dans ce qu’elle a de plus sacré : le respect des droits et des libertés fondamentales. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)