[Marianne] Notre sécurité implique-t-elle la surveillance de tous ?

Annoncé depuis plusieurs mois, le projet de loi sur le renseignement est présenté en procédure d’urgence à l’Assemblée nationale depuis hier lundi 13 avril, comme en réponse immédiate aux assassinats terroristes des 7 et 9 janvier.

Qu’on ne se méprenne pas : nos capacités de surveillance, de préservation de l’espionnage de la France et de son génie (industriel ou autres) par d’autres nations et — car c’est l’objectif principal — la lutte contre des attaques terroristes méritent d’être reconnus comme des enjeux véritables. Ainsi, s’il ne s’agit de contester l’importance de légaliser certaines pratiques afin de sortir du flou juridique, il est déterminant que le législateur ne cède pas un pouce, encore moins un millimètre de terrain sur les libertés fondamentales des citoyens au nom desquels il vote la loi.

Au-delà de la « lutte anti-terroriste », ce projet couvre bien des aspects de la stratégie et des moyens du renseignement : ainsi l’espionnage, le contre-espionnage s’entendent certes pour des motifs de sécurité mais aussi à l’aune d’enjeux industriels et de compétitions entres nations. Or, l’affaire Wikileaks a montré que l’amitié formelle que nous prêtent des alliés (en l’occurrence les Etats-Unis) n’empêche pas ces derniers de nous placer sous surveillance, en bien des domaines…

À l’enjeu géopolitique s’ajoute par ailleurs une question fondamentale pour notre démocratie : comment préserver, absolument, les libertés les plus fondamentales dans un Etat de droit ? S’il est nécessaire d’encadrer juridiquement des pratiques existantes, il est tout aussi essentiel qu’on en fixe clairement les objectifs (s’agit-il de la seule lutte anti-terroriste ?) et qu’on désigne clairement les moyens (se prémunir autant que faire se peut de carnages implique-t-il de rendre possible la surveillance de tous ?). Sur un débat aussi fondamental, je regrette que nous n’ayons pas plus de temps d’un débat national et public. La procédure d’urgence ne permet pas à tous les citoyens de se saisir de la discussion… alors qu’ils sont concernés, et au premier chef.

En contrepartie des nouvelles attributions des agents du renseignement, le gouvernement proposerait de nouveaux moyens de contrôle. Pourtant, en examinant précisément le texte de la loi qui nous est proposé, nous constatons, entre autres risques, que les moyens mis à disposition du renseignement sont effectivement élargis quand les attributions de la nouvelle commission de contrôle (CNCTR) restent de nature consultative.

La liste des motifs de surveillance est allongée, introduisant les notions d’« intérêts essentiels de politique étrangère » et de « violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». Ces notions sont bien trop floues pour protéger la liberté des citoyens de contester des projets (par exemple des grands projets d’infrastructures) ou encore éviter de réitérer la scandaleuse affaire de Tarnac qui avait vu des jeunes gens filés et surveillés au détriment de leurs droits les plus élémentaires.

Le texte autorise par ailleurs la récolte massive de données via les réseaux de téléphonie mobile ou Internet sans que l’anonymat ne soit garanti, ce qui est contraire à la protection de la vie privée. Le défenseur des droits comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont d’ailleurs mis en garde le gouvernement sur ce point, comme sur la durée de conservation des données qui est prolongée par le texte ou encore les personnes susceptibles de faire l’objet d’une surveillance.

Les attributions de la nouvelle commission de surveillance (CNCTR) ne vont pas lui permettre un contrôle renforcé des activités de renseignement, au contraire. Désormais, « en cas d’urgence absolue » le Premier ministre pourra se passer de son avis (que l’ancienne commission parvenait à donner dans les deux heures jusqu’à maintenant), et son avis reste consultatif.

Il est donc indispensable que le texte évolue, plusieurs amendements ont été déposés en ce sens. Ils visent à supprimer l’article dit des « boîtes noires » qui permet la surveillance massive, restreindre les motifs de collecte de renseignement, ou encore introduire l’articulation entre l’action administrative et l’autorité judiciaire. Il s’agit enfin que la commission de contrôle bénéficie désormais d’un avis conforme, quand elle ne dispose jusqu’à maintenant que d’un avis consultatif.

Aujourd’hui comme hier, notre boussole doit rester celle d’une Révolution française qui nous élève d’abord contre tous les abus de pouvoir. C’est d’abord cela, défendre la liberté.

 

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