J’ai accordé ce matin une interview au journal Le Monde. Je reviens notamment sur les Roms, les retraites, le budget et le rôle du parlement
Pour Manuel Valls, les Roms « ont des modes de vies extrêmement différents des nôtres qui sont évidemment en confrontation » avec la population française. Etes vous d’accord ?
Ce genre de propos n’est pas responsable : dire que la majorité des Roms ne veut pas s’intégrer, c’est faire fi de l’intelligence humaine, et de l’idée selon laquelle on permet l’intégration des populations qui sont exclues en mobilisant travailleurs sociaux et médecins. J’ai été travailleur social, je peux certifier que lorsqu’on se donne le temps d’accompagner des personnes, cela est certes plus long mais le résultat est plus digne qu’un coup de pied aux fesses donné dans un micro. Il y aurait donc des corps définitivement étrangers à toute société ? Doit-on ériger des problèmes de voisinage en ligne politique ? C’est dangereux. Et où est la vertu pédagogique de commencer par la sanction ? Cela n’apaise pas notre société, ne hisse pas vers le haut la réflexion collective. Cela ne correspond pas à ma philosophie de l’homme.
Le projet de loi de finances doit être présenté demain en conseil des ministres. Vous avez déjà émis des critiques à son encontre. Pourriez vous ne pas le voter ?
Je préfère attendre le débat budgétaire au Parlement. Mais si, entre le début et la fin, il n’y a pas de changement, si avant même que nous ayons eu une discussion, on nous explique par exemple que la CSG progressive est evacuée, cela pose un problème démocratique.
Quels en sont, selon vous, les points les plus problématiques ?
Le budget résume toute une politique et en l’occurence, à ce stade, il ne me convient pas du tout. Sa principale caractéristique est de consacrer 20 milliards d’euros aux entreprises indistinctement, c’est la prolongation budgétaire du CICE [crédit d’impôt compétitivité entreprise] sans contrepartie, sans contrôle. Sans compter que les secteurs qui en bénéficient le plus ne sont pas délocalisables, comme les grandes surfaces ou l’hôtellerie. Si nous avons 20 milliards à mobiliser, il y a sans doute des choix plus judicieux à faire, comme par exemple abonder la banque publique d’investissement ou organiser la transition énergétique.
Je ne suis pas sûr qu’une fiscalité totalement appuyée sur une politique de l’offre, que nous avons combattue au sein du PS quand nous étions dans l’opposition, soit porteuse. Où est la gauche quand Pierre Moscovici tourne le dos à l’esprit du Bourget en reniant l’encadrement des hauts revenus, en dévalorisant la taxe Tobin et en qualifiant de punitive la fiscalité ? Le ministre de l’économie incarne une politique très conciliante à l’égard du Medef, qui ne s’adresse pas aux classes populaires moyennes.
Budget de l’Etat : « Une politique qui ne s’adresse pas aux classes populaires et moyennes »
N’y a-t-il rien à sauver dans ce budget ?
Le problème plus général est un problème de méthode : on nous explique que, en tant que parlementaire, le rôle quasi exclusif que nous sommes appelés à remplir, c’est celui de subalterne de l’exécutif. Cela pose un problème important dans la mesure où émettre une critique peut être vu comme un gage de déloyauté. Quand le président fait un virage à 180 degrés sur la politique de l’offre, cela se fait en cinq minutes, dans un entretien télévisé, sans que l’on en ait débattu avant, sans que cela corresponde aux engagements du candidat Hollande ou du PS.
Comment jugez vous la réforme des retraites dont l’examen doit débuter au Parlement début octobre ?
Il y a des points, sur la pénibilité, sur l’égalité homme-femme, sur la prise en compte des années de formation, qui sont d’anciennes revendications pour la première fois mis sur la table et qui me satisfont. Mais cette réforme me pose trois problèmes. D’une part, j’ai du mal à accepter l’idée que les progrès de civilisation, qui permettent des années de vie supplémentaires, doivent se traduire par des années de travail. Je pense que les années de vie gagnées doivent être un bénéfice heureux, partagé. L’allongement de la durée de cotisation doit donc pouvoir être discuté.
Elle me pose aussi un problème de cohérence économique : si l’on demande de travailler plus longtemps, alors la place des jeunes est prise plus longtemps. Enfin, elle me pose un problème de financement : si l’essentiel repose sur les salariés et que la part revenant au patronat lui est restituée par des avantages fiscaux, nous ne pouvons pas dire que l’effort soit équitablement réparti. Il va y avoir un débat, on va déposer des amendements, j’ai encore confiance dans le travail parlementaire.
Globalement, jugez-vous que la première année de la gauche au pouvoir a été utile pour le pays ?
Oui, dans le sens où cela fait du bien de ne pas avoir tous les matins un président de la République dans l’excitation permanente, obnubilé par l’idée que notre problème principal serait l’identité nationale. Il y a beaucoup de choses à mettre à l’actif du gouvernement mais les questions institutionnelles doivent nous interroger. Aujourd’hui, le président de la République a le pouvoir exécutif et le quasi monopole de l’initiative législative, cela n’existe dans aucune démocratie au monde.
Je voudrais rappeler à François Hollande le parlementaire qu’il a été. Discuter d’une intervention militaire mérite de passer par l’Assemblée nationale, proposer un changement d’orientation économique aussi. On doit faire plus souvent la pédagogie de notre action, on ne peut pas simplement dire : il n’y a que des efforts à faire. Il faut trouver le fil et le sens de notre politique.
Propos recueillis par Hélène Bekmezian et Bastien Bonnefous pour Le Monde