Pouria Amirshahi sur RFI : « Il reste deux ans pour un nouveau souffle »

J’étais ce matin l’invité politique de RFI. Au lendemain de l’adoption du projet de loi renseignement, ce fut l’occasion de revenir sur mon vote négatif :

 

Verbatim

 

La loi sur le renseignement

 

J’ai effectivement l’impression, même si ces mots sont forts,  que la démocratie en a pris un coup avec le vote de cette loi.

On confie des pouvoirs extraordinaires au premier ministre et le contrôle des enquêtes qui seront menées à partir de ces instructions sera confié à une commission de contrôle composée de magistrats et députés qui ne comprendront rien au langage algorithmique qui permettra de vérifier si oui ou non ces mathématiques sont conformes au respect des libertés. On en a pris un coup hier mais je ne désespère pas. D’abord car il y a le recourt au conseil constitutionnel et aussi parce qu’il y a le Sénat. Je ne crois pas que le Sénat soit plus libéral que l’Assemblée nationale en la matière mais je m’inquiète plus généralement du glissement des démocraties occidentales, et pas qu’occidentales, vers des renforcements des dispositifs de sécurité qui n’ont jamais empêché l’attentat suivant.

 

Ce n’est pas la première fois que des députés se réveillent plus tôt que d’autres face à des dangers potentiellement lourds. Il y a aussi l’effet de la peur. Je regrette cette utilisation très désagréable du contexte.

Beaucoup d’élus m’ont dit que dans le contexte actuel il était difficile de s’opposer à la loi. Or ce sont précisément dans les contextes actuels qu’il faut élever les consciences républicaines. Car nous ne parlons pas simplement de lutter contre le terrorisme mais aussi contre ses causes. Vous pouvez faire toutes les guerres du mondes contre le terrorisme si de l’autre côté vous ne mettez pas le paquet sur les coopérations et le développement vous n’asséchez pas le terreau qui produit le terrorisme. Donc il faut absolument avoir une autre approche.

 

Les policiers n’en demandaient pas tant. Qu’est-ce qu’ils veulent à l’aune de l’affaire Kouachi, Coulibaly et de tous les écueils qu’on a connus ? Ils veulent des moyens supplémentaires. Ils veulent des voitures, des moyens de filature. Moi je suis pour cibler les 1500 à 3000 personnes que le Premier Ministre a identifiés lui-même comme étant des personnes dangereuses mais certainement pas rendre possible la surveillance massive de la population.

L’alinéa 10 de l’article 1 de cette loi essaye de prémunir la République de toute atteinte à la sureté de l’Etat, de la Nation. Que se passe-t-il-il demain s’il y a une grève générale dans le pays qui paralyse toute l’économie du pays ? Est-ce qu’on considère à ce moment-là que les syndicats, les mouvements sociaux mettent en danger le pays ? Voilà toute une série de critères établis par la loi qui peuvent être interprétés dangereusement s’il elle était mise en œuvre.

 

L’erreur est humaine donc ce gouvernement peut faire des erreurs aussi.

 

Lorsque j’ai mis en garde sur le fait que cette loi pouvait être mise entre de mauvaises mains on m’a répondu « mais de toute façon c’est un faux débat car si demain l’extrême droite arrive au pouvoir cette loi elle la fera », ce qui est un aveu terrible. Ce sont le premier ministre, le ministre de l’intérieur et quelques autres qui m’ont répondu ça, c’était assumé.

 

Ce qui m’inquiète c’est le glissement général des démocraties et pas seulement les démocraties. Il y a des pays qui resserrent les dispositifs de surveillance de population et c’est très inquiétant.

 

On ne peut pas d’un côté promouvoir l’émancipation humaine, la liberté, la fraternité et de l’autre côté accepter de verrouiller des dispositifs de surveillance.

Avant même que nous ayons adopté en 1791 le triptyque Liberté Egalité Fraternité nous avons fait une Révolution deux ans avant, sur un mot d’ordre, qui réunissait tout le monde, droite et gauche confondus, girondins et montagnards : le refus de tous les abus de pouvoirs. Or là on donne des pouvoirs extraordinaires à nos services autant qu’au premier ministre qui va les commander.

 

Oui je vais adresser un mémorandum fondé en droit au Conseil Constitutionnel pour que « les Sages » censurent des dispositions dangereuses et liberticides de cette loi.

 

Certains nous disent que cette loi restreint des aspects de la vie privée mais pas les libertés fondamentales. C’est un argument fallacieux car lorsqu’on écoute vous conversations téléphoniques on écouter vos opinions, lorsqu’on suit vos déplacements c’est votre liberté de circulation qui est mise en cause. Donc ce sont des libertés fondamentales qui sont atteintes.

 

Bilan de François Hollande

 

Je mettrais à l’avantage de François Hollande son élection, qui a été particulièrement réussie. Depuis il y a eu une double dérive, à la fois libérale et sécuritaire dont j’estime qu’il est de mon rôle de parlementaire et d’élu socialiste d’alerter, d’avertir, de contester, de critiquer. Mais je ne pas fait que ça. J’ai voté beaucoup de lois et je l’ai toujours  assumé, ce que d’autres n’ont pas fait. La loi sur la biodiversité, la loi agricole, la loi Alur et toute une série d’autres. Simplement il y a des lois qui, dans certains domaines, posent des problèmes démocratiques graves, je les ai posées. On ne peut pas avoir comme horizon d’un côté un univers libéral et de l’autre un horizon sécuritaire. Notre horizon est un horizon émancipateur. J’attends toujours de la gauche qu’elle s’inscrive dans cette histoire : que les connaissances, les techniques, les technologies soient mises au service du bien commun et non pas au service des restrictions des libertés et de l’appauvrissement.

 

François Hollande pourra être candidat s’il a l’assise pour le faire : les sondages et les résultats. Pour l’instant c’est mal parti.

 

Si je mets de côté les postures et les théories économiques des uns et des autres, soyons lucides. Nous gouvernons. Les français reconnaitraient notre intelligence et notre honnêteté si nous disions : il y a plus de chômeurs en France, il y a plus de pauvres, et le danger de l’extrême droite est encore plus présent. Discutons-en, acceptons cette réalité pour modifier la trajectoire et renverser un peu le cours de l’histoire. C’est possible sur quelques mesures : loi bancaire, loi fiscale, nouveau souffle budgétaire pour les territoires et pour la jeunesse. On en a besoin, ce sont les propositions que nous faisons avec Christian Paul dans le congrès socialiste.