Allons droit au but. Cette proposition de loi ne sert ni la lutte contre l’antisémitisme, une nouvelle fois instrumentalisée, ni la lutte contre toutes les formes de racisme et de discriminations puisque ces deux dernières mentions ont carrément disparu du titre.
Commençons par l’esprit et le contexte.
L’antisémitisme étant déjà un délit – et heureusement ! -, pourquoi légiférer spécifiquement dans les universités ? Y a-t-il une raison plus impérieuse ici que dans les entreprises ou les lieux culturels ? Car les arguments entendus ces derniers jours résonnent salement avec toutes les répressions observées ces derniers mois sur les campus universitaires états-uniens (3100 manifestants arrêtés) ou même chez nous, à Sciences-Po par exemple. Des étudiants ont été l’objet de sanctions (notez qu’elles existent déjà, donc) à titre conservatoire et parfois jusqu’à l’exclusion et ce sans que n’apparaissent de quelque façon que ce soit des messages antisémites. Des enseignants également ont fait l’objet de sanctions disciplinaires à la Toulouse School of Economics alors qu’ils appelaient à des sanctions contre le gouvernement israélien. On touche là directement au problème : les filets sont trop larges et dans des cas extrêmement majoritaires c’est en fait l’expression d’un soutien à la Palestine ou une opposition aux massacres perpétrés par l’armée israélienne qui fut reprochée. Aux Etats-Unis, lors de mon déplacement, Michelle Goldberg, célèbre chroniqueuse du New-York Times explique très clairement les mécanismes à l’œuvre pour criminaliser des mouvements de solidarité internationale.
Cette confusion entretenue entre la justesse de mots d’ordre contre une politique coloniale criminelle et l’antisémitisme ou un soutien au terrorisme du Hamas est grave. De plus la liberté d’interprétation de la loi autorisera tous les abus de pouvoir : en effet, le texte prévoit des sanctions disciplinaires possibles envers des membres de la communauté universitaire, y compris pour des propos et actions conduites en dehors des établissements (!) et allant, sans que l’affaire ne soit jugée, jusqu’à l’interdiction à paraître.
En tant que commissaire aux Lois je ne peux donner quitus à cet excès de pouvoirs et de sanctions.
La section disciplinaire dédiée, désormais présidée par un magistrat et non un.e universitaire, sera composée de membres désignés par décrets et non élus, sans garantie de représentation légitime. On touche ici du doigt le risque grave de la dérive interprétative de ce texte dans une période où l’extrême-droite s’implante désormais jusque dans la haute fonction publique. Non seulement leur potentielle nomination serait un risque… mais que dire en cas d’accession formelle, demain, du RN au pouvoir.
En criminalisant des faits « susceptibles de porter atteinte au bon fonctionnement de l’établissement », ce sont bien les stratégies de mobilisations des mouvements étudiants qui sont visées (débrayages, assemblée générale, occupation d’amphi’ en cas de grèves etc.).
Logiquement les principales organisations étudiantes et enseignantes, héritières de l’esprit universitaire – libre et solidaire des grandes causes humanistes – ont protesté. Comme pour désarmer leur critique, les avocats de ce texte sont dit qu’il visait à lutter contre toutes les discriminations. Mais alors, pourquoi avoir retiré la mention dans le titre ?
Certes, des formations sont heureusement prévues, et c’est heureux. C’eût été sobre, honnête et intelligent de s’en tenir là, plutôt que de nourrir partout les feux dont le pays doit se passer.