Prisons surpeuplées : il y a urgence à réguler

Cellule individuelle occupée par trois personnes dans une maison d'arrêt (©CGLPL)

Je commence cet article alors que la canicule sévit partout en France. Mais je sais que dans les prisons, les détenus la subissent directement et dans des conditions autrement plus indignes. Le béton des murs est brûlant, l’isolation est catastrophique, la chaleur des cellules qui voient s’entasser parfois jusqu’à cinq détenus est étouffante, les fenêtres – quand elles sont là – sont trop petites et trop peu nombreuses pour faire des courants d’air, et l’accès aux douches est restreint…

Ce 1er juin, un nouveau seuil a été franchi : 84 447 détenus sont incarcérés en France. Pour rappel, la capacité opérationnelle de notre parc pénitentiaire est de 62 566 places. La densité carcérale atteint donc un nouveau pic de 135 %. Dans certains établissements, le taux d’occupation dépasse même les 200 %. Et ces chiffres, déjà vertigineux, sont eux-mêmes sous-évalués. Concrètement : les cellules, conçues pour n’accueillir qu’un détenu ou deux, en accueillent en réalité trois, quatre, voire cinq. C’est donc parfois moins de 3m2 que se partagent 22 heures sur 24 les résidents de ces colocations indignes.

Notre système pénitentiaire est en surchauffe, au bord de la rupture. Et pendant que tous les professionnels alertent, le ministre de la Justice poursuit une politique à rebours de ce constat unanime. Tous les représentants des 27 organisations membres du groupe de travail sur la régulation carcérale, piloté par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, partagent le même constat : il faut agir, vite.

C’est justement ce groupe que nous auditionnions aujourd’hui en commissions des lois à l’Assemblée nationale. À travers la voix de six représentants aux parcours divers, réunissant l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, une même urgence s’exprime : enrayer le fléau de la surpopulation carcérale. Pas uniquement parce que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à deux reprises — en 2020 et 2022 — pour traitements inhumains ou dégradants. Ce serait déjà en soit un argument suffisant, mais ni la honte, ni la responsabilité ne semble familiers aux décideurs du moment. Surtout, pour reprendre les mots de nos invités : « la surpopulation carcérale d’aujourd’hui est la récidive de demain ». Il ne s’agit pas tant de défendre un point de vue idéologique, de respecter le droit et la CEDH, mais surtout d’être pragmatique. 

La surpopulation met en péril les personnels pénitentiaires. Les effectifs sont calculés sur le nombre théorique de détenus dans les établissements, mais ce calcul se confronte à la réalité. Lorsqu’un surveillant seul ouvre la porte d’une cellule, c’est bien l’ensemble des détenus qu’il doit gérer. Cette situation accroît les tensions, les violences, les humiliations. Elle empêche tout travail éducatif, psychologique ou social sérieux. En somme, elle déshumanise. Enfin, elle rend impossible toute politique de réinsertion digne de ce nom.

Avocats, juges d’application des peines, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, responsables associatifs, représentants d’organisations, représentants syndicaux : tous sont unanimes. Et surtout, ce cri d’alerte est également porté par les directeurs d’établissement eux-mêmes qui vivent ce délitement général au quotidien.

Oui, l’ensemble de nos prisons suffoque. Comme l’a rappelé Ivan Gombert, représentant des directeurs des services pénitentiaires : entre 1981 et 2021, la population carcérale augmentait d’environ 1 000 détenus par an. Depuis 2021, ce chiffre a bondi à 5 000 détenus supplémentaires par an. Cette accélération dramatique devrait nous amener à une vraie réflexion : pourquoi cette explosion ? Quels sont les leviers ? La généralisation des comparutions immédiates, le recours massif à la détention provisoire (22 445 prévenus au 1er juin 2025), les peines courtes sans aménagement. Bref, la politique pénale du tout-carcéral ? Voilà quelques pistes.

Nous savons pourtant que d’autres voies sont possibles. Nous l’avons fait, en 2020. La pandémie de Covid-19 nous a contraints à adapter notre politique carcérale : ralentissement de l’activité judiciaire, libérations anticipées, remises de peine exceptionnelles, assignations à résidence. Résultat : une baisse de plus de 12 000 détenus. Et après ? Pas d’augmentation notable de la récidive. Preuve que l’on peut réduire la population carcérale sans compromettre la sécurité publique.

Quand on doit, on fait. Encore faut-il le vouloir. Hélas, pas une semaine ne passe sans une nouvelle surenchère morbide Place Vendôme. La dernière date de ce début de mois de juillet, et consiste en la transformation d’anciens Ehpad en établissements pénitentiaires. Plutôt que de penser régulation, on recycle des lieux inadaptés en lieux d’enfermement. En revanche, concernant la mise en place d’un véritable mécanisme de régulation carcérale — celui que tous les professionnels auditionnés appellent de leurs vœux — silence radio.

Dans les semaines à venir, à l’occasion des auditions des groupes parlementaires par Gérald Darmanin dans le cadre de la future réforme de la Justice, nous porterons des propositions concrètes en ce sens, en relai des travaux de ce groupe de travail dont je salue les membres pour leur constance, leur expertise et leur engagement.

Affaire à suivre donc …

Auditionné.es :

Juliette Viard-Gaudin – Responsable nationale de la mission Justice-Prison, Emmaüs France

Estelle Carraud – Secrétaire générale, SNEPAP-FSU SPIP

Ivan Gombert – Secrétaire national, Syndicat FO des directeurs des services pénitentiaires

Prune Missoffe – Responsable Analyse et plaidoyer, Observatoire international des prisons – Section française (OIP)

Cécile Delazzari – Secrétaire générale, Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP)

Amélie Morineau – Avocate, élue au Conseil national des barreaux (CNB)