Hier fut discuté puis voté en séance le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc. Cet accord est la conclusion de négociations diplomatiques intensives visant à clore une crise bilatérale longue de 11 mois, survenue suite une convocation de M. Hammouchi par la justice française le 20 février 2014. L’événement avait conduit à la suspension unilatérale par le Maroc de la coopération judiciaire – pénale et civile – avec la France.
Deux questions sont ainsi devenues centrales : d’une part, la coopération entre nos deux pays, indispensable et même essentielle au projet méditerranéen (au même titre que doit l’être celle avec l’Algérie et la Tunisie) ; d’autre part, le respect des droits fondamentaux et des traités internationaux signés par les deux parties, l’indépendance de la Justice de chaque Etat et la protection de nos compatriotes sans distinction de mono ou de bi-nationalité.
Notre coopération judiciaire, très ancienne (depuis 1957), est actuellement régie par la convention d’entraide judiciaire du 18 avril 2008, à laquelle sera ajouté, suite au vote, un article 23 bis. Cet article a, légitimement, soulevé de nombreuses interrogations et critiques d’associations et d’ONG telles que Le syndicat de la magistrature, Amnesty International, Human Rights Watch, la FIDH, la LDH et l’ACAT, mais également de la part de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH).
En effet, ce protocole additionnel est avant tout un accord diplomatique ; il fait par nature l’objet d’imprécisions et d’ambiguïtés laissant cours à des interprétations variées ; il peut se révéler vide ou utile à la coopération judiciaire, ou rempli de risques selon application.
Nous sommes donc face à un paradoxe : il s’agit avant tout de renouer le lien stratégique avec le Maroc tout en préservant la souveraineté démocratique judiciaire française. Or, l’indispensable relation féconde avec le Maroc et plus largement nos voisins et amis méditerranéens ne saurait se faire en recul du Droit.
Pour ma part, deux aspects sont soulevés : la question de la capacité judiciaire d’une part, celle de la protection des binationaux d’autre part.
En effet, du fait de son imprécision, l’article laisse transparaître notamment un « renvoi » « prioritaire » de la procédure à l’autre partie, ou encore une obligation d’information « immédiate » dans les cas de faits commis sur le territoire de l’autre partie. Quant à l’application, potentiellement inquiétante, aux binationaux, elle résulte de l’interprétation stricte du quatrième paragraphe. Le risque discriminatoire est réel.
Ne pouvant être présent moi-même le jour du débat en séance, j’avais donc transmis cette double approche à mes collègues, et en premier lieu à Elisabeth Guigou, présidente de la Commission des Affaires étrangères dont je suis membre. Oui à la remise sur les rails de la coopération (elle est indispensable à qui veut promouvoir une vision positive et optimisme de l’avenir méditerranéen) et – afin d’empêcher les risques d’advenir – oui à des précisions explicites dans le débat parlementaire. Car, en matière d’interprétation de la Loi, la référence est, le cas échéant, « l’intention du législateur » ; celle-ci a été précisée en insistant sur le fait que le « transfert prioritaire » n’est pas une obligation mais une incitation et qu’il appartiendra au juge français de décider, librement et souverainement, s’il souhaite transférer la procédure. Cela ne signifie en aucun cas que le juge pourra se dessaisir d’un cas. Il pourra en revanche déléguer les poursuites. Ainsi, l’autorité judiciaire saisie ne renoncera pas à l’exercice de son droit de poursuivre. Par ailleurs, il a été précisé hier que ce texte n’enlève en rien sa compétence quasi universelle au juge – français ou marocain – qui pourra, le cas échéant, appliquer un droit de poursuite pour non-respect de conventions internationales, dont la Convention des Nations unies contre la torture et l’article 689-2 du code de procédure pénale français vis-à-vis d’un ressortissant se trouvant sur le territoire français ayant commis des faits à l’étranger.
Pour le Juge français, cet exposé était indispensable pour lui permettre d’agir en sérénité et en garantie d’indépendance. Cela ne résout pas tout, mais cela fut dit hier et fera donc foi. J’ai bien conscience que ces précisions qui nous ont été apportées hier seront confrontées à la réalité des pratiques. Je sais aussi parfois le risque de voir les intérêts supérieurs des Etats primer sur le droit. C’est pourquoi ces précisions utiles ne doivent rien enlever à notre collective vigilance.
L’accord tend par ailleurs à fluidifier et à rendre plus efficaces les échanges d’informations, ce qui ne fera que renforcer positivement la coopération entre nos deux pays, cette coopération judiciaire étant la plus importante de la France avec un pays étranger et partenaire dans de nombreux domaines. Je sais, par mon engagement sur le terrain de ma circonscription, combien certains de nos compatriotes – notamment ceux qui sont en prison – ont pâti plus encore que d’autres de la suspension de la relation judiciaire : visites, informations, difficultés des démarches consulaires, empêchement de notre magistrat de liaison, etc.
Reste la crainte exprimée par les ONG : que des dirigeants (marocains comme français d’ailleurs) responsables d’actes répréhensibles trouvent refuge dans une impunité légalisée pour échapper à la justice et au droit. Dans ce dialogue nécessaire, la pression argumentée des ONG et organisations de défense des droits et des Libertés est fructueuse, et elle peut encore enrichir les réflexions des sénateurs, pour expliciter, encore et toujours, cette fameuse intention du législateur…
La suite dans les prochaines semaines…
Post-Scriptum (article mis à jour) : pour une approche critique (en particulier sur la compétence universelle et la lutte contre les impunités) lire l’avis de la CNCDH en date du 7 juillet 2015