Je participerai au Sommet de l’Élysée, aujourd’hui à l’occasion d’une rencontre sur l’économie organisée par Pierre Moscovici, demain avec le Forum Afrique de Pascal Canfin, et vendredi avec la cérémonie d’ouverture présidée par François Hollande. Au-delà des seules questions sécuritaires, ce sommet doit être une réussite pour un développement durable et démocratique du continent africain, dans une relation de partenariat sincère avec l’Union européenne. Vous trouverez ci-après les 4 enjeux de ce Sommet.
À l’invitation du Président de la République, chefs d’États, de Gouvernement et dirigeants d’Afrique se rassemblent aujourd’hui à l’Élysée pour une journée consacrée au développement et deux journées consacrées à la Paix et la Sécurité en Afrique. Ces enjeux stratégiques pour le continent africain le sont tout autant pour l’Europe.
Ce Sommet est l’opportunité de réaffirmer une vérité trop peu assumée devant les opinions publiques européennes : il se joue en Afrique une partie de notre avenir, et possiblement pour le meilleur si nous nous en donnons les moyens. Notre langue commune avec la moitié des pays du continent est un atout formidable pour une ambition francophone partagée, qui peut constituer le ciment d’un axe stratégique entre l’Afrique subsaharienne, le Maghreb et quelques pays européens dont la France.
Au-delà de notre histoire commune pluriséculaire mal enseignée, les liens qui nous unissent avec l’Afrique sont d’une intensité insoupçonnée. Le nombre de nos compatriotes vivant sur le continent dépasse les 200.000 personnes. Avec les diasporas africaines qui résident dans l’Hexagone, ils nous rappellent que l’Afrique, derrière les grands enjeux abordés lors du sommet, ce sont aussi des hommes et des femmes qui œuvrent au quotidien pour le développement économique du continent. Or, paix et sécurité sont les deux revers d’une même médaille, dont l’alliage repose d’abord sur le développement économique. Si l’Afrique est bien « un continent de croissance », il ne suffit pas de le décréter, par économisme, pour répondre à l’ensemble des défis qui s’y posent. De la même façon, clamer la « guerre au terrorisme » n’est pas suffisant. Il faut stériliser les divers terreaux sur lesquels il prospère. Malgré un tableau sombre – et anxiogène – qui prédomine dans les discours et clichés médiatiques, les forces vives d’Afrique sont nombreuses et pleines de promesses. Quatre priorités pourraient être utilement au cœur de l’action française sur le continent et des discussions du Sommet de l’Élysée.
Le renforcement des capacités de la puissance publique – de l’État comme des collectivités locales – est une condition préalable à toute ambition. Affaibli par les vagues successives de libéralisation/privatisations des années 80/90 et les programmes d’ajustement structurels du FMI, l’État en Afrique souffre encore d’un déficit de légitimité, qu’il convient de combler. Sans ressource, il n’est pas de politiques publiques, ni de services publics, possibles. Le Sommet de l’Élysée est l’occasion de rappeler ce principe simple et pourtant essentiel : nous devons concourir à ce que l’action de l’État en Afrique puisse s’appuyer sur une fiscalité pérenne, à laquelle le secteur privé ainsi que les grandes fortunes africaines doivent apporter une réelle contribution.
Territorialisée et démocratique pour être au plus près des populations, dotée de moyens renouvelés, la puissance publique devrait urgemment se saisir de l’enjeu de l’éducation. Les groupes armés que nous combattons aux côtés des armées africaines s’appuient sur une idéologie rétrograde que les lacunes de l’éducation publique en Afrique ne permettent pas de combattre efficacement. Plus de trente millions d’enfants en âge de fréquenter le primaire ne sont pas scolarisés en Afrique subsaharienne. Lorsque les bailleurs de fonds n’apportent pas le soutien financier nécessaire aux projets d’écoles publiques de nos partenaires africains, ce sont des madrasas – non mixtes, non neutres et non éclairées – financées parfois par les fortunes du Golfe qui pullulent. La formation professionnelle et technologique est également déterminante pour répondre aux enjeux économiques, écologiques et de développement industriel ; elle est aussi un rouage sur lequel la coopération française peut beaucoup et constitue une porte d’entrée formidable pour la consolidation d’un espace économique et de mobilités. À titre d’exemple également, l’Alliance numérique franco-tunisienne, initiée par Nicole Bricq et Mongi Marzoug, est une réalisation concrète qu’il convient de dupliquer avec d’autres partenaires, sur d’autres thématiques.
Outre l’éducation, le secteur agricole doit être au cœur de notre coopération avec l’Afrique, subsaharienne en particulier, où il emploie environ deux tiers de la population active. Trop mal équipée, la paysannerie africaine est extrêmement vulnérable à la concurrence mondiale sauvage. Appauvrissement, exode vers les bidonvilles et ressentiment grandissant en sont les conséquences immédiates, lourdes pour la stabilité de la sous-région. Il est urgent d’assurer des prix rémunérateurs aux paysans africains pour leur permettre de vivre dignement de leur travail et d’investir dans la mécanisation. Lutter contre la spéculation sur les matières premières agricoles et empêcher les stratégies d’accaparement des terres doivent constituer une réponse déterminée aux risques d’émeutes de la faim qui ont déjà explosé en 2008.
Il convient enfin de s’attaquer avec détermination aux trafics ignobles, qui prospèrent d’ailleurs sur la faiblesse des États et détruisent les sociétés. Si la bande sahélo-saharienne est une zone de transit historique, elle s’est récemment transformée en véritable « autoroutes de la drogue ». Installés depuis une décennie dans la région, les groupes armés, à l’instar du MUJAO à Gao, se nourrissent de la manne financière des trafics. Cet afflux d’argent leur permet trop souvent de se mettre dans une position de substitut à des pouvoirs publics défaillants, voire absents. Il alimente et entretient la corruption. Surtout, les trafics découragent les investissements dans l’économie légale. Ils détournent des forces productives les moyens financiers et l’énergie humaine dont elles ont tant besoin pour se mettre en mouvement.
Cette ambition affichée pour le développement, la paix et la sécurité suppose des moyens colossaux qui sont incompatibles avec les économies de bouts de chandelle qui font désormais office de modus operandi des politiques publiques. Elle doit aussi et surtout être assumée par les dirigeants auprès des citoyens : à l’heure où la frilosité, voire la lâcheté, l’emporte devant les vents mauvais de la xénophobie et du racisme, l’heure est venue de dire et d’assumer publiquement notre partenariat stratégique avec les Africains.