Retrouver ici mon entretien avec
dans le 5/7 de France Inter, elle commence à la 81ème minute.
Un jeune d’Aulnay-sous-Bois disait qu’entre la police et les jeunes il y a un fossé culturel. Quel est ce fossé selon vous ?
Je pense qu’il provient de plusieurs choses, mais d’abord du point de vue des jeunes des quartiers populaires d’une ségrégation qui se vit d’abord à travers le racisme. C’est-à-dire que la ségrégation sociale vécue dans beaucoup de quartiers populaires se double du racisme qui est présent dans une partie de la police, qui, sans doute par manque de formation, parfois par sentiment d’insécurité quand elle rentre elle-même dans ces quartiers-là, ne sait pas faire autrement que de pratiquer la violence, la confrontation directe, le tutoiement, le rudoiement, et on l’a vu maintenant le viol et parfois le meurtre. Il faut mettre les mots sur ce qui est en train de se passer.
Y-a-t-il un contexte qui favoriserait ces suspicions de part et d’autre ?
Ça fait des années que vous avez en France des relations difficiles, entre les jeunes de quartiers – principalement ceux qui sont noirs ou basanés, qui sont victimes de discriminations à commencer par les des contrôles d’identité – ce sont les plus contrôlés en France – et de l’autre côté des policiers qui sont dans des métiers harassants, on leur en demande beaucoup, beaucoup trop, parfois même sans évaluation de l’efficacité de leurs interventions.
On se trompe quand on propose des lois pour renforcer les pouvoirs des policiers alors qu’il faudrait renforcer leur formation, leur sens de discernement, la maitrise, le sang-froid et le respect d’un certain nombre de règles.
Un exemple : il y a avait en 1986, quand Pierre Joxe était ministre de l’intérieur, un code de déontologie. Ce code de déontologie dans son article premier, ses premiers mots, disait que le rôle des policiers était de défendre les libertés individuelles. Lorsque le nouveau code en été mis en place en 2014, voulu par Nicolas Sarkozy puis par Manuel Valls, cette référence aux libertés individuelles a purement et simplement disparu.
On demandait avant aux policiers d’intervenir dans le respect de la loi, on leur demande maintenant d’intervenir pour faire respecter la loi. Ce qui n’est plus du tout la même chose. Donc il y a eu un glissement progressif, et un changement de pratiques et de doctrine sans que ce soit dit.
Avant on avait une procédure de désescalade dans la police, on savait faire, on était même réputé pour ça. On avait des policiers très bons, qui savaient, dans la gestion des foules –les manifestations par exemple – comme dans les interpellations individuelles avoir ce qu’on appelle « une bonne distance ». Puis petit à petit on s’est aperçu que contrairement à nos voisins européens on est devenu plus brutal. Et ça s’est vu et on a vu des drames. Je pense à Rémi Fraisse, je pense à ceux qui ont perdu un œil, à vos collègues, dans les manifestations contre la loi travail. Je pense à Adama Traore. Et je ne veux pas accabler la police dans son ensemble, loin de là ! Mais on ne peut pas faire une loi pour protéger la police, loi qui par ailleurs n’est pas utile, sans parler de ceux qu’on doit protéger, parfois de la police elle-même.
Est-ce que vous allez remettre la proposition sur les récépissés de contrôles d’identité sur le tapis ?
Oui, mais pas dans le débat sur la proposition de loi sécurité publique car ça sera retoqué. Mais je sais que dans le débat présidentiel certains reprendront cette proposition.
Vous savez, ce n’est pas une marotte. Quand vous êtes contrôlé cinq à dix fois par jour, sans aucune justification, vous avez besoin d’avoir des procédures qui vous défendent et qui vous protègent. Y compris pour permettre aux policiers de faire leur travail. Car le récépissé existe, il a été testé à Madrid, à Sofia, à Londres. J’ai rencontré les policiers de ces pays-là. Au début ils étaient tous contre en disant : on n’a pas que ça à faire, c’est de la paperasse supplémentaire, on n’a pas le temps de remettre des souches de contraventions. Et puis finalement on l’a accepté, ça a apaisé les relations avec les jeunes et puis ça nous a permis de faire notre boulot : la circulation, les filatures, des enquêtes, des investigations.
Cette loi de sécurité publique veut redéfinir les règles d’ouverture de feu des policiers en cas de légitime défense et se rapprocher des droits plus étendus des gendarmes. Vous y voyez une loi irresponsable et inefficace.
Irresponsable car on renforce chez les policiers les plus fragiles le sentiment d’impunité.
C’est de défenseur des droits, Jacques Toubon, qui dit qu’à partir du moment où vous autorisez l’usage des armes à feu, les tirs à vue, en cas de légitime défense […] Or le cas de légitime défense existe déjà dans le droit commun. Si on vous attaque vous avez le droit de vous défendre, si c’est proportionné car nous sommes encore dans un état de droit.
Monsieur Falcone, directeur général de la police nationale, dit que quand les policiers ont été attaqués à Viry-Châtillon – où ils ont failli payer de leur vie – ils étaient parfaitement en situation et en droit de se défendre avec les textes actuels. Donc vouloir renforcer des dispositifs qui arment, surarment, réarment et rajoutent de la tension, n’est pas une solution pour calmer les esprits ou pour répondre à la protection des policiers mais c’est une sorte de flatterie à des revendications les plus dures d’une minorité de policiers qui l’a demandé. Si on veut aider les policiers, il faut renforcer les formations et arrêter de les mobiliser tout le temps pour tout et n’importe quoi notamment dans un état d’urgence qui les met à bout, ils sont fatigués, ils sont tendus. C’est aussi cette tension qui conduit à des dérapages.
Est-ce que vous estimez que le quinquennat de François Hollande a répondu aux inquiétudes, aux craintes des policiers ?
Oui parce qu’il y a eu des postes supplémentaires, qu’il a plus de considération et qu’on a arrêté le culte de la politique du chiffre. Mais non car on a des conditions de travail qui sont encore difficiles.
C’est un métier qui reste dangereux, difficile, qui doit être valorisé mais autrement que par le discours de testostérone, de la virilité et du roman chevaleresque de la police. On peut respecter la police, c’est mon cas, je respecte la police républicaine, sans être dans ce mythe.
(seul le prononcé fait foi)