En ce premier jour du congrès du Parti socialiste j’ai adressé une lettre aux militants de la Motion B « A gauche pour Gagner ». Pour qu’un bilan sincère soit fait de la période et que des perspectives ambitieuses soient tracées pour la suite. Si ce texte s’adresse en premier à mes camarades socialistes sa portée est bien plus large, j’ai donc fait le choix de le rendre public.
Trois pistes pour demain
Chères et chers camarades,
Amies et amis,
C’est le moment pour nous, militants de la Motion B « À Gauche Pour Gagner », de dresser le bilan de la séquence qui se termine et, surtout, d’envisager celle qui s’ouvre, sereinement. Les quelques éléments de réflexion que je vous livre, j’aurais pu les poser à d’autres, membres ou non de partis, réseaux et organisations (à vrai dire j’ai commencé depuis quelques temps….). Mais, à quelques heures du Congrès de Poitiers, auquel je ne pourrai malheureusement participer, c’est d’abord à vous que je veux m’adresser.
Je commence donc de là où nous partons : le parti socialiste et la place que nous souhaitons encore y occuper, bien que je reste lucide sur sa fossilisation – à l’image des institutions nationales – son épuisement militant et même son mollétisme qui est en train de le conduire selon moi à un effondrement moral, corollaire du renoncement fondamental à agir pour une vie meilleure.
Je continuerai avec la démarche politique que nous avons construite par notre action au sein du Parlement qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis 2012, et qui nous donne, je le crois, une place déterminante dans l’articulation entre les différentes composantes de la gauche – des gauches – à condition de continuer à nous sentir libres de défendre nos idées plutôt que de subir des décisions imposées hors de toute délibération collective et surtout contraires à ce que nous devons promouvoir.
Enfin j’évoquerai ce qui me semble le plus important : la mise en perspective d’un grand mouvement citoyen d’un type nouveau, rassemblant les forces sociales mobilisées pour une reconquête progressiste des consciences.
Avant d’évoquer ces 3 points, je veux poser deux axes :
– d’un point de vue idéologique, nous devons formuler une nouvelle synthèse du socialisme, de la démocratie et de l’écologie.
– d’un point de vue pratique, nous devons mettre en commun, avec sincérité, toutes les bonnes volontés : bref, rassembler, réunir. C’est, vous le savez, cette idée que j’avais commencé à décliner lors d’une rencontre nationale à Paris le 27 septembre 2014 à la Bellevilloise intitulée « Echanger pour changer[1]».
De toute façon, nous n’avons guère le choix : l’antihumanisme est en marche depuis longtemps, menaçant l’essentiel – jusqu’à la viabilité de la planète – au profit de quelques-uns. Nos batailles, résistances et victoires seront autant de bougies permettant d’éclairer la scène, et de trouver un chemin vers un autre avenir. Je suis certain que notre ambition sera féconde si nous sommes résolus. Gardons à l’esprit cette évidence : l’humanité dispose largement des intelligences, des savoirs, des technologies et des moyens pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et où les possédants veulent nous enfermer.
1) Le Congrès : premier bilan et pistes pour l’avenir de notre motion
Nous arrivons au terme du Congrès. J’avais, avec d’autres, prôné très tôt dans ce quinquennat les dépassements nécessaires des différentes chapelles. Nous avons commencé au Parlement, nous nous sommes construits par nos votes, notre nombre a grandi et nous avons su tenir bon malgré l’incroyable abus permanent d’autorité de l’exécutif à l’égard des parlementaires frondeurs. Ce qui nous caractérise, c’est notre éthique de convictions. Mais il fallait faire la preuve de notre cohérence au sein du Parti socialiste. Notre motion a fait cette démonstration essentielle : la cohésion et l’envie commune l’ont emporté sur les postures et les impostures. Nous avons su nous réunir nombreuses et nombreux autour d’un texte et d’un premier signataire. Nous avons su mettre en commun nos personnalités, nos dynamismes, nos équipes, nos idées et nos envies pour les dépasser et les mélanger. Cette construction collective est un acquis essentiel pour la suite : préserver ce qui doit être un courant homogène sur la base de nos thèses sociales, économiques et écologistes pour permettre que cette aventure militante se prolonge. Le socle que nous constituons, par son score, son périmètre et sa nouveauté, fait désormais partie intégrante des instances du Parti socialiste et doit nous permettre d’y faire vivre nos idées et, peut-être, de peser sur ses choix.
Cela n’obère nullement notre intention de mettre en perspective un mouvement nouveau rassemblant demain les gauches démocratiques de transformation sociale (j’y reviendrai), c’en est même une condition : être politiquement organisé et autonome dans le champ politique.
Ce pari ne sera réussi que si notre motion sait assurer sa pérennité dans un parti politique, qui, malgré ses déroutes électorales, l’hémorragie de ses adhérents reste celui que les électrices et les électeurs de la gauche mettent encore en tête. Et il reste toujours l’espoir que les organisations démocratiques et leurs membres se ressaisissent, ce pour quoi nous n’avons cessé de plaider.
Pour ce qui est du Congrès de Poitiers proprement dit, ce que nous avons à y dire est simple : malgré nos disputes et nos controverses entre socialistes, ce congrès doit permettre d’éviter le risque terrible qui nous menace en 2017 si la trajectoire demeure. Plus personne ne demande le souffle du Bourget, car plus personne n’y croit ni ne veut perdre son temps en des parties de gifles interminables. Seulement, il reste plusieurs mois pour engager des mesures concrètes de justice, inverser le cours des choses, redonner confiance, rassembler la gauche… Formellement – certains avec sincérité, d’autres hélas avec duplicité – l’ensemble des textes présentés au suffrage des militants défendait ces éléments et des mesures de justice sociale, fiscale, de relance écologique et industrielle. C’est à mon sens la seule chose que nous devons prôner pour le parti : qu’il joue pleinement son rôle pour les deux prochaines années à l’égard de l’exécutif, en amenant ce dernier à de nouveaux compromis.
Certes cela sera bien peu au regard du besoin fondamental de refondation politique dont notre pays a besoin – au-delà-même des étiquettes propres à la gauche et à la droite (je développerai ce point ultérieurement) – mais ce sera déjà beaucoup si nous parvenons à obtenir ces inflexions aussi nécessaires économiquement qu’indispensables aux gens de peu. Les français ont majoritairement voté en 2012 pour voir leur vie s’améliorer. Malgré l’incrédulité grandissante, je n’y renonce pas. Si la future direction du Parti socialiste animée par Jean-Christophe Cambadélis n’y parvenait pas, toutes les hypothèses seraient bien sûr ouvertes, y compris au Parlement…
2) Un dialogue sincère et fécond avec les gauches
Nous devons être utiles sans sectarisme ni agressivité, en amendant les bonnes lois, en rejetant les mauvaises, en en initiant d’autres. C’est ce que nous avons choisi de faire cette dernière année, c’est sur cette conception très respectueuse d’une séparation réelle des pouvoirs que s’est construite notre identité politique. Par nos actes nous avons marqué le débat public et honoré la démocratie. En assumant nos idées, non seulement nous avons voulu défendre le mandat qui nous a été confié par les citoyens, mais nous avons su être des acteurs à part entière de la gauche, construisant ainsi les ponts nécessaires entre notre parti et les autres composantes du camp progressiste. Cela s’est traduit à de nombreuses reprises par des votes assumés avec les groupes écologistes et communistes, l’indépendance de jugement primant sur les injonctions disciplinaires.
La démarche parlementaire qui fut la nôtre doit donc perdurer. Cultivons-la ! Pour des raisons d’éthique démocratique et parce qu’elle permet des convergences politiques concrètes.
Mais cette démarche doit exister aussi dans les territoires, non seulement au sein des exécutifs ou des oppositions de gauche, mais aussi entre notre motion et les autres partis. Sur ce dernier point, deux conditions seront nécessaires : que sur le terrain nos équipes cultivent le collectif et la confiance et que nous ne nous laissions pas inutilement emporter par des processus qui divisent la gauche.
Nationalement, bien entendu, cette relation doit être permanente et féconde. Cela fait de nombreuses années pour ma part que j’essaie de mettre en œuvre cet adage : l’union fait la force. C’est pour cela que nous avons, les uns et les autres parmi les animateurs de notre collectif, participé aux initiatives régulièrement organisées par les autres. C’est cette discussion permanente à gauche que j’avais voulu permettre en organisant la rencontre de la Bellevilloise. C’est également pour cette raison que j’avais participé à l’université de Nouvelle Donne, à celle d’Europe-Ecologie-Les Verts ou encore le week-end dernier au Forum Européen des Alternatives.
Néanmoins, là aussi, comme nous le sommes à l’égard du parti socialiste, soyons lucides : la dynamique commune reste à construire car les divisions et les faiblesses l’emportent encore. Surtout, nous ressassons nos désaccords communs avec les choix politiques des socio-libéraux, nous sommes même d’accord sur des choses essentielles (un nouveau modèle de développement industriel écologique et utile, la promotion de l’économie circulaire, la République métissée, le respect plutôt que la guerre des identités, une autre ambition internationale, l’accès aux ressources et une meilleure répartition des richesses au niveau international…)…mais nous ne nous projetons pas dans une stratégie de reconquête. C’est pourquoi il faut, au-delà de ces rencontres multipliées, dire quelle est notre perspective : un mouvement national citoyen de type nouveau.
Si nous sommes en capacité de ne pas être prisonniers de l’élection présidentielle de 2017, qui pétrifie les peu courageux et exacerbe les opportunismes, alors nous pouvons engager cette démarche dès maintenant, en 2015. C’est une grande difficulté, mais elle n’est pas insurmontable.
Voici comment je vois les choses : je ne suis pas partisan pour cultiver les haines inutiles, génératrices de rancœur, qui atomisent plus encore les gauches et, surtout, qui nous font perdre du temps. Or, le temps nous est compté, au regard de la fulgurante progression des inégalités et de la culture des droites. Il faut donc songer maintenant à la création de ce mouvement, dans lequel il n’est fait injonction à personne de quitter sa famille politique s’il ne le souhaite pas mais à la construction duquel toutes et tous – quelles que soient leurs (non)appartenances consacrent une part essentielle de leurs énergies. Et, pour 2017, nous verrons bien ; je veux dire par là, les étapes qui nous séparent de l’échéance ne manqueront pas pour que nous en reparlions, décidions ensemble ou même constations des choix différents. Ce qui compte c’est de poser dans le l’espace public et citoyen – et aussi médiatique – c’est ce qui nous paraît digne d’être débattu – c’est-à-dire la France d’après – et que la médiocrité, les frilosités, les renoncements et les servitudes empêchent de s’exprimer aujourd’hui dans les cadres partisans.
En lançant une telle perspective dès 2015, je sais que certains vont croire ce pari impossible, tellement sera pesante l’ombre de l’élection présidentielle, j’en viens donc au troisième point.
3) Pour un Mouvement Commun
Dans ce monde qui change nous ne sommes pas seuls, loin s’en faut, à prôner un nouvel optimisme, tournant le dos à la seule politique que des marchés financiers veulent imposer. Alors loin de nous enfermer dans la défense aveugle et sourde d’une politique inefficace et en fait injuste, nous devons œuvrer à la jonction des dynamiques positives. Les exemples autant que les pépinières inventives fleurissent de par le Monde, dans des combats difficiles mais porteurs : en Afrique comme en Europe du Sud, aux Amériques comme en Asie. La France, elle, reste en panne d’imaginaire. Et pourtant, les forces vives autant que les idées sont là : partout dans le pays, dans toutes les catégories sociales et quels que soient les niveaux culturels, les expériences concrètes, souvent alternatives au modèle dominant existent et font la démonstration du possible. Ce sont ces forces qu’il s’agit aussi de fédérer.
Tout cela ne sera possible qu’à la condition de s’ouvrir sincèrement à celles et ceux qui font la société. Celles et ceux qui fondent le socle de la République, dans leur diversité, sans condition. Toutes les consciences citoyennes qui participent chacune à leur manière, chacune dans leur territoire, avec leur histoire, doivent être associées à l’écriture du récit national que nous inventons. Les artistes et les scientifiques bien sûr, mais aussi les entrepreneurs solidaires, les ouvriers motivés, les lanceurs d’alerte, la jeunesse en mouvement et en réseaux. Et il faudra savoir aussi parler directement à ceux qui ont peur, sincèrement peur du monde et de leurs voisins, peur pour eux et leurs enfants. Non pas pour leur dire que nous proposons un nouvel ordre sécuritaire – infâme flagornerie populiste – mais pour les convaincre de la possibilité de notre ambition heureuse.
Cela, tout cela, prendra du temps. Et c’est pourquoi il faut commencer tôt…
Notre société n’est pas figée, contrairement à ce dont rêvent les plus réactionnaires qui voient et veulent un monde de strates et de castes. Elle évolue au fil des années et au gré des bouleversements du monde qui nous entoure. Comment accepter qu’une partie grandissante – ici comme ailleurs -reste sur le bord du chemin quand on sait pouvoir l’empêcher ?
L’objectif ? Remettre la démocratie à l’endroit et le bonheur au centre des sociétés.
La méthode ? Réunir dans une même dynamique, critique et constructive pour demain, toutes celles et ceux qui ne renoncent pas à changer la vie, sans préempter les partis et les appareils. Cette démarche veut réunir les forces vives de la société et de la gauche. C’est toujours dans cette perspective que j’entends agir et que je vous propose d’avancer.
La France, enfant d’une Révolution jamais achevée, est belle, dynamique, inventive, métissée, riche de millions de talents et d’intelligences. Dessinons-lui un autre chemin pour demain. Soucieux de nos souverainetés citoyennes. Conscients, définitivement, qu’un nouveau modèle de développement doit émerger. Une autre parole politique est nécessaire : sincère avec elle-même, confiante envers les citoyens, concrète dans ses projets, pragmatique dans ses méthodes.
Voici à mon sens les défis à relever dans la période. Je suis triste de ne pas être parmi vous pour ce congrès, mais confiant dans les débats que vous porterez. Vous l’avez compris : selon moi, l’essentiel commence…
En attendant (et même sans attendre !), bons travaux poitevins ! Je sais d’avance que la force de conviction et les talents oratoires des nôtres sauront consolider notre démarche durant ces trois jours.
Je serai heureux de vos retours sur ces quelques éléments de réflexions. Avançons.
Avec mes plus fraternels sentiments,
Pouria Amirshahi.
[1] Voir aussi la présentation et la revue de presse