Entre deux déplacements en Tunisie, bien des choses ont changé : nouveaux partis politiques, durcissement des conflits sociaux, ouverture des négociations avec l’Union européenne et, pour nous Français, arrivée de notre nouvel Ambassadeur M. François Gouyette, à qui je souhaite une nouvelle fois de réussir pleinement dans ses nouvelles fonctions, ô combien stratégiques.
Bref, la Tunisie bouge, mais les lignes de fond, autant que les interrogations, sont les mêmes : quelle nouvelle Constitution, et dans quels délais ? Quand auront lieu les prochaines élections, et selon quelles modalités de contrôle et de déroulement ? Quelles forces politiques pour incarner la Tunisie de demain, ancrée dans le Maghreb et liée à l’Europe ? Autant de questions, et bien d’autres, dont j’ai parlé à chacune de mes rencontres du 1er au 3 décembre.
Les Français que j’ai rencontrés ont eux aussi leur analyse de la situation et se sentent pleinement concernés par la vie publique tunisienne. Même s’ils ont aussi, dans de nombreux domaines, des préoccupations spécifiques (j’y reviendrai) que connaissent parfaitement nos services consulaires, conduits par la Consule Générale Mme Martine Gambard-Trébucien. Merci d’ailleurs à elle et à toute son équipe de leur disponibilité. Merci aussi aux agents en poste et que j’ai rencontrés à l’occasion d’une visite au Consulat.
En Tunisie, tout est politique
Je dois tout de même commencer par le principal: il se joue en Tunisie une part de notre destin collectif, européens et africains en tête. La Révolution doit réussir et, si c’est d’abord l’affaire des Tunisiens, nous devons et pouvons les y aider.
On comprend que la Révolution ait engendré la création de plus de 150 partis ; on explique aussi ainsi, entre autres raisons, l’émiettement du camp démocrate et républicain. Mais la Tunisie est désormais entrée dans une phase de recomposition politique, sous la pression d’une société civile toujours en ébullition et à l’approche d’échéances politiques déterminantes qui ne sont toujours pas adossées à une commission électorale indépendante, malgré l’exceptionnel travail mené par Kamel Jendoubi il y a plus d’un an. J’espère que ce dernier ne sera mis en cause par ceux qui craignent la transparence…
L’enjeu reste l’établissement d’un état de droit fondé sur la séparation des pouvoirs. De ce point de vue, deux éléments vont être déterminants: le texte constitutionnel qui sera adopté et les modalités des prochaines élections. Les tunisiens ont deux acquis majeurs à défendre : ceux de l’Indépendance et de Bourguiba (statut des femmes, État républicain, etc.) et ceux de la Révolution (liberté d’expression et de la presse en particulier). Et comme souvent, les artistes sont souvent en pointe, les femmes en tête d’ailleurs.
L’enjeu: un rassemblement démocrate et républicain, à la fois progressiste et pôle de stabilité
À ce stade, si on constate une relative homogénéité d’Ennahda – même si ce parti suscite de plus en plus de déception si l’on en croit les enquêtes d’opinion – on ne peut que regretter l’émiettement du camp démocrate et républicain. Je m’en suis ouvert auprès du président de la Constituante, mon ami Mustafa Ben Jaafar, ainsi qu’auprès de mes interlocuteurs de Al Joumhouri (Parti républicain) et de Nidaa Tounes, nouveau regroupement politique qui semble prendre son envol et souhaite contester aux islamistes leur leadership jusqu’ici incontestable.
De nombreuses personnes s’inquiètent dans le pays des débordements de certains activistes radicaux et dénoncent également une stratégie de contrôle des leviers gouvernementaux et locaux par le premier parti tunisien. Sans qu’il apparaisse de véritables contre-pouvoirs…
Le Président de la République tunisienne, M. Moncef Marzouki, que j’avais eu l’occasion de rencontrer longuement en Tunisie puis à Paris, a d’ailleurs commencé à émettre de vive critiques à l’égard du gouvernement, et en particulier sur les tentations hégémoniques de sa principale composante. Il est vrai que les nominations, nombreuses, dans le secteur public comme dans les régions, sont marquées du sceau des islamistes. Les récentes polémiques n’ont d’ailleurs fait que nourrir la critique principale adressée au parti islamiste : « rassurant à l’extérieur, dangereux à l’intérieur ». Ce dernier est d’ailleurs lui-même traversé de contradictions et voit se rencontrer des modérés (à l’instar des chrétiens démocrates européens) et des obscurantistes, même si ces derniers mois ont semblé donner l’avantage aux plus durs et aux plus conservateurs d’Ennahda.