Violences des gendarmes à Sainte-Soline : «Nous exigeons une commission d’enquête parlementaire»

Des gendarmes à la manifestation de Sainte-Soline, le 25 mars 2023. – © Maylis Rolland / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Dans cette tribune, 96 députés et sénateurs demandent l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur les violences et propos effarants récemment documentés des gendarmes qui ont réprimé la manifestation de Sainte-Soline.

Le 25 mars 2023, 30 000 personnes se sont rassemblées dans les Deux-Sèvres et la Vienne pour manifester contre des projets d’implantation de mégabassines et contre l’accaparement de l’eau, bien commun de l’humanité, par une minorité au mépris de tous.

Mais cette journée de revendication collective et joyeuse, où se côtoient familles, paysans, militants associatifs et politiques, a rapidement tourné au cauchemar. 5 015 grenades lacrymogènes sont tirées sur les manifestants, dont le seul crime est de refuser le creusement et le bâchage d’un immense trou dans la terre.

Le bilan est lourd : 200 blessés, dont 40 grièvement atteints chez les militants. Ceux qui n’ont pas été physiquement touchés souffrent, pour beaucoup, de syndrome de stress post-traumatique. Ils ont assisté à une scène de guerre.

Dès le lendemain, tout indique que l’organisation du maintien de l’ordre ce jour-là était un véritable fiasco. Aucun dispositif n’est prévu sur le parcours de la manifestation, avant l’arrivée à la bassine, pour signaler l’interdiction de manifester. Le nombre de policiers et les armes utilisées sont largement disproportionnés. Ce sont 3 200 gendarmes et policiers qui arrivent avec leurs 9 hélicoptères, 4 blindés, 4 camions à eau et 20 quads.

Les observateurs sur place rapportent même que les secours se sont vu empêcher d’accéder aux manifestants blessés. Quelques jours plus tard, Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement a jugé la situation française « préoccupante » et la « réponse de l’État, largement disproportionnée » Mais, pour Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, « cette opération a été bien préparée, les gendarmes ont fait ce qu’ils ont pu ».

Les vidéos des caméras-piétons de gendarmes déployés lors de la manifestation, et rendues publiques par les journaux Mediapart et Libération mardi 4 novembre, contredisent ces mensonges. Elles révèlent au grand jour que des gendarmes ont commis de nombreux gestes interdits, notamment des tirs tendus de grenades lacrymogènes et explosives sur les manifestants, et ce sur ordre de leurs supérieurs hiérarchiques.

« Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés »

Les propos tenus sont accablants : « Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés »« un vrai kiff »« une grenade à éclats non létaux dans les couilles »« on va les manger, hein »« faut qu’on les tue ». S’y ajoutent de nombreuses insultes sexistes, « fils de pute », et homophobes, « enculés ».

Plus inadmissible encore : Mediapart souligne que les gendarmes concernés « n’ont jamais été confrontés », ni interrogés, sur le contenu de ces images et que l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) n’a pas signalé au parquet les nombreuses « potentielles infractions » qu’elles prouvent.

L’indifférence scandaleuse à l’égard des victimes et des blessés de Sainte-Soline a trop duré. L’absence de saisine du parquet par l’IGGN malgré les 84 heures de vidéos qui attestent de graves manquements de la part des forces de l’ordre est un mépris insupportable à l’égard des victimes, des associations et des manifestants. Ce climat d’impunité est dangereux.

Compte tenu de l’ampleur des révélations des journalistes de Mediapart et Libération, l’annonce de Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur, d’ouvrir une enquête administrative est largement insuffisante. Nous exigeons l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les violences du maintien de l’ordre à Sainte-Soline.

Cette commission d’enquête devra analyser les choix politiques d’organisation du maintien de l’ordre lors de la manifestation de Sainte-Soline du 25 mars 2023 et leurs conséquences sur le déroulement de la manifestation et les blessures dont ont été victimes manifestants et gendarmes. Elle devra proposer des politiques publiques à même de garantir la liberté de manifester et l’accès au secours des manifestants.

Plutôt que l’usage disproportionné de la force, il faut remettre au goût du jour la doctrine de désescalade. Avocats, observateurs, journalistes, procureurs, doivent avoir leur place en manifestation pour s’assurer du respect des libertés fondamentales. Les techniques brutales et les armes mutilantes doivent être interdites.

Les responsables du naufrage de Sainte-Soline doivent être identifiés et sanctionnés. Il faut tourner la page des politiques qui l’ont permis.

Quelques signataires :

Clémence Guetté, Députée du Val-de-Marne, Vice-présidente de l’Assemblée nationale
Raphaël Arnault, Député du Vaucluse
Manuel Bompard, Député des Bouches-du-Rhône
Gabrielle Cathala, Députée du Val-d’Oise
Claire Lejeune, Députée de l’Essonne
Cyrielle Chatelain, Députée de l’Isère, présidente du groupe Écologiste et Social
Pouria Amirshahi, Député de Paris
Lisa Belluco, Députée de la Vienne
Benoît Biteau, Député de la Charente-Maritime
Marie Pochon, Députée de la Drôme
Sandrine Rousseau, Députée de Paris
Elsa Faucillon, Députée des Hauts-de-Seine
Marcellin Nadeau, Député de la Martinique
Fabien Gay, Sénateur de la Seine-Saint-Denis

Retrouvez La Tribune et la liste intégrale des signataires sur le site de Reporterre.