Après une semaine encore chargée à l’Assemblée Nationale, entre commissions, groupes de travail et mission d’information, je me suis rendu en circonscription vendredi 12 juillet, direction Praia, capitale du Cap Vert. Je remercie chaleureusement l’ambassadeur Philippe Barbry pour sa disponibilité lors de ce déplacement. A bien des égards, il a su me convaincre combien ce petit pays représente un trait d’union extraordinaire entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique latine. La culture autant que la géopolitique bercent donc ce peuple au destin exceptionnel, ce peuple d’esclaves déportés sur un archipel à l’origine inhabité et qui a construit sa propre conscience nationale, sa propre identité, sa propre culture que fait vivre aussi à travers le monde une diaspora d’environ 700 000 Capverdiens (contre 500 000 sur l’archipel…). Une leçon à l’échelle de l’Histoire.
Bien que lusophone, le Cap Vert est un pays très francophile, mais aussi encore, un peu, francophone. Il prévoit notamment l’enseignement obligatoire du français dès le secondaire, à stricte égalité avec l’anglais en termes de volume horaire et d’enseignements. Traditionnellement, les Capverdiens sont davantage attirés par le français, langue latine et plus proche du créole capverdien, tendance accentuée par la présence de 35 000 Capverdiens en France. Ils ont également un intérêt stratégique – à la fois commercial et culturel – à consolider la langue qui est aussi très présente en Afrique.
A bien des égards son donc, il me semble que la France devrait regarder plus souvent et plus près vers nos amis du Cap-Vert…
Rencontre avec les autorités capverdiennes
Le jour de mon arrivée, les cap-verdiens apprenaient la mort au Portugal de Bana, un chanteur aussi renommé et respecté que le fut Cesaria Evora. Le Président de la République, le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale ont donc annulé notre entretien, funérailles obligent mais j’ai été reçu le lundi 15 juillet par le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Monsieur José Luis Rocha.
La relation franco-capverdienne a bien entendu eu bonne place dans notre entretien, avec particulièrement trois volets : l’intégration de la communauté capverdienne en France et la politique des visas ; le développement social et la lutte contre la criminalité ; la coopération et le développement.
Aide au développement : attention à ne pas couper les ailes du Cap-Vert au moment de son décollage….
Le Ministre s’est félicité du passage de son pays de la catégorie PMA « Pays les Moins Avancés » à celle des PRI « Pays à Revenus Intermédiaires ». Néanmoins, il s’est inquiété d’une éventuelle baisse des aides internationales. En effet, la transition doit se faire graduellement et il ne faudrait pas que le pays se voit délaissé alors qu’il entame un nouveau départ dans son développement économique et social. Si le Ministre a insisté sur la responsabilité essentielle et première des autorités capverdiennes, il a souligné l’importance de continuer à bénéficier de crédits, de prêts et d’accords ainsi que de recevoir des Investissements Directs de l’Etranger (IDE). Dans le cas contraire, le pays se verrait fragilisé et un possible retour en arrière serait catastrophique, pour le Cap Vert mais aussi un mauvais signal pour la région. Si l’Agence Française de Développement (AFD) reste présente, le Ministre des Affaires étrangères a par ailleurs regretté la faiblesse de ses investissements, notamment dans les domaines de la pêche et des énergies renouvelables où d’autres pays comme l’Italie ou le Portugal semblent davantage impliqués. Je m’entretiendrai de ce point avec Mme Paugham, la nouvelle directrice générale de l’Agence. Surtout, il a souligné la baisse des aides publiques et de l’aide budgétaire comme instrument de développement, de la part de l’Union européenne et de la France. À noter également que le Cap Vert ne dispose pas de ressources minières et souffre de sécheresses et du manque d’eau douce ; aussi, le programme de construction de barrages de retenue, servant à stocker l’eau des pluies et destiné à irriguer les zones agricoles voisines et à développer de nouvelles techniques agricoles est un des plus dynamiques du pays.
Je me suis également entretenu avec le Maire de Praia, Ulisses Correia e Silva. Nous avons d’abord évoqué les politiques mises en place, la ville ayant des compétences élargies, sur la gestion du territoire et des transports, l’habitat social, la gestion foncière, la gestion de l’eau ainsi que la jeunesse et le sport. De nouvelles infrastructures, avec des points de distribution, permettent une gestion de l’eau plus efficiente. Le développement du tourisme, et notamment le tourisme de conventions et de congrès, est un des chantiers lancés pour promouvoir la ville de Praia dès 2016. Plus généralement, le pays mise sur plusieurs points forts, et notamment son environnement maritime et l’industrie du tourisme afférente. Pays où la superficie maritime est plus grande que le territoire terrestre, des projets de tourisme maritime avec les sports d’eau et les croisières sont en cours. Chose surprenante : la ville de Praia, 150 000 habitants, n’est pas jumelée avec une ville française ! Je plaiderai en France pour qu’une telle coopération décentralisée puisse être mise en œuvre, dont le point de départ pourrait être l’assemblée de l’AMF – Association des Maires Francophones – qui se tiendra le 14 novembre 2013 à Paris, et dont le Cap Vert est membre actif.
C’est d’ailleurs le Cap Vert qui accueillera le deuxième festival ACP (groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) en septembre 2014. Tenu en 2006 pour la première fois à Saint-Domingue, ce festival culturel décline une variété de créations et productions de l’ensemble des Etats qui composent le groupe ACP. À suivre, donc…
Une intégration régionale à privilégier
A une autre échelle, le commerce avec l’Afrique de l’Ouest présente des opportunités pour le Cap Vert qu’il est important de saisir. Selon les autorités, le Cap Vert a les moyens de se poser en prestataire de services, dans ses domaines d’expertise, de la bonne gouvernance électronique, avec parallèlement le développement de l’économie numérique pour l’éducation et la santé. Aujourd’hui, aussi surprenant que cela puisse paraitre, seulement 2,3% du commerce extérieur du Cap Vert se fait avec l’Afrique de l’Ouest. L’Europe, le Brésil et les Etats-Unis restent les grandes puissances importatrices.
La carte des échanges régionaux peut être jouée, en s’appuyant notamment sur la communauté binationale des capverdiens-sénégalais. Alors que des échanges universitaires sont déjà en place (avec 80 étudiants capverdiens en Algérie et au Maroc), la coopération renforcée passe aussi par une position plus active dans la CEDEAO ainsi que la création de synergies avec les structures telles que l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) ou le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).
La lutte contre les trafics, une priorité pour le pays
Une stratégie régionale pourrait permettre de contrer le développement du commerce informel et faire face à un des enjeux primordiaux de la région : la sécurité. En effet, le Cap Vert, de par sa position géostratégique de pont entre trois continents, est un point de transit intéressant pour les trafiquants de drogue venus d’Amérique latine, circuit qui continue en Afrique par la Guinée-Bissau. Les grands procès de narcotrafiquants qui se déroulent actuellement au Cap Vert démontrent la tension croissante qui entoure le sujet et la pression qui pèse sur les autorités judiciaires. Les autorités françaises au Cap Vert peuvent, dans ce domaine, s’appuyer sur les experts établis à Dakar et à Conakry pour renforcer la coopération avec le pays.
La coopération française à encourager
Depuis plusieurs décennies, la tendance à l’aide multilatérale a fait reculer les coopérations bilatérales, tandis que d’autres pays comme la Chine investissent de plus en plus au Cap Vert et créent des entreprises, et comptent une communauté de 5 000 personnes. Cette présence influe directement sur la coopération entre les pays, puisqu’une centaine d’étudiants capverdiens sont partis en Chine dans le cadre d’échanges universitaires. Mais, chose méconnue, c’est aujourd’hui le Luxembourg qui est le premier bailleur de fonds avec environ 10 millions d’euros investis dans la coopération bilatérale par an.
Si la France reste présente surtout sur le terrain de la coopération culturelle et linguistique, avec la présence d’un assistanttechnique à l’université et le développement d’un département français, les entreprises françaises ne sont que trop peu implantées au Cap Vert. Or, il y a une demande existante dans le domaine de l’énergie renouvelable, via la production et l’installation de panneaux solaires et d’éoliennes. Voilà donc une question à mettre au menu de mes prochaines rencontres avec les acteurs économiques concernés.